"Prier à genoux, c’est le corps qui se prosterne et le cœur qui s’abandonne".
Prier à genoux, c’est le corps qui se prosterne et le cœur qui s’abandonne. Cette attitude de prière, très appropriée pour le temps du carême, exprime la soumission à Dieu, l’obéissance à sa volonté, l’adoration, l’humilité et la pénitence. C’est l’attitude de foi par excellence. Ce qui faisait dire au regretté Raymond Devos, dans l’un de ses sketches : « Quand je me suis retrouvé à genoux, j’ai compris que j’avais la foi. » (À plus d’un titre. Sketches inédits, Pocket, 2001).
Charles de Foucauld se mettra à genoux lui aussi avant de se confesser et de retrouver la foi. Que de méditations n’a-t-il pas écrites ensuite après avoir adoré à genoux le Saint-Sacrement.
Édith Piaf, persuadée d’avoir été guérie par Thérèse de Lisieux lorsqu’elle était enfant, la priera chaque jour. « La Môme » insistait pour prier à genoux et demandait qu’on l’aide à s’agenouiller lorsqu’elle était trop épuisée.
Adoration et humilité
Prier à genoux, comme toute autre attitude corporelle, n’est pas neutre. C’est un geste d’adoration et de pénitence qui demande une certaine humilité. L’humilité est cette attitude fondamentale dans la prière où nous acceptons notre condition de créature en nous plaçant devant Dieu et en attendant tout de lui. Nous devenons plus libres, car nous sommes dans la vérité de notre finitude humaine. Nous reconnaissons que Dieu est tout pour nous et que nous ne sommes rien sans son amour miséricordieux. La station à genoux, proche de la terre, favorise cette attitude d’humilité (humus) et d’intériorité, si essentielle à l’adoration.
Adorer, proskynein en grec, évoque l’agenouillement et le prosternement. Ployer les genoux devant Dieu, c’est reconnaître humblement que nous attendons tout de lui. C’était la prière du prophète Daniel : «Trois fois par jour, il se mettait à genoux, s’adonnant à l’intercession et à la louange en présence de son Dieu, comme il l’avait toujours fait.» (Dn 6, 11).
À genoux devant le mystère
L’agenouillement est une attitude de prière si humaine qu’elle s’impose instinctivement lorsqu’on est en présence du mystère. Bernadette Soubirous se mit spontanément à genoux lorsqu’elle vit la Dame à Lourdes. La jeune juive Etty Hillesum a vécu aussi une sorte de visitation divine qui la mit à genoux dans sa maison alors qu’elle n’avait reçu aucune éducation religieuse. « Histoire de la fille qui ne savait pas s’agenouiller » écrit-elle dans son Journal, où elle parle de l’agenouillement comme d’un geste intime de l’amour. Elle mourra à Auschwitz le 30 novembre 1943, à l’âge de 29 ans.
Jésus lui-même nous donne l’exemple de la prière à genoux. Conduit par l’Esprit Saint, il livre un combat terrible à Gethsémani. Humilié et brisé, il s’agenouille et s’en remet à la volonté de son Père. « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne. » (Lc 22, 42).
Avant cet abaissement du Dieu fait homme qui nous relève par sa croix, Jésus s’était agenouillé pour laver les pieds de ses disciples. Dieu, devant qui on se prosterne, devient quelqu’un qui s’agenouille devant nous. Ce Dieu très-bas qui nous place à la hauteur de son regard de Ressuscité séduira Paul de Tarse qui s’écrie : « Qu’au Nom de Jésus tout genou fléchisse » (Ph 2, 10).
Dans la liturgie chrétienne nous reprenons la louange liturgique céleste en nous mettant à genoux devant le Dieu trois fois saint, tels les vingt-quatre Anciens qui « se prosternent face à celui qui vit pour les siècles des siècles » (Ap 4, 10).
L’inclination profonde
Une posture proche de l’agenouillement est l’inclination qui exprime aussi l’intention profonde d’adoration et d’humilité : «Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous, / adorons le Seigneur qui nous a faits» (Ps 94, 6).
Les premiers frères dominicains seront fascinés par la manière dont leur fondateur vivait la prière. Saint Dominique priait avec tout son corps, de jour comme de nuit, il s’inclinait, s’agenouillait, se prosternait, pleurait. Sa prière était un long désir fait d’inclinations, d’agenouillements et de larmes.
Ce geste d’inclination profonde, qui se rapproche de l’agenouillement, est encore pratiqué dans les monastères. Il devrait l’être aussi dans nos églises lorsque nous passons devant le tabernacle qui renferme le pain eucharistique. C’est une marque de respect envers le Christ qui s’est donné à nous par amour. C’est aussi une marque d’action de grâces, puisque toute prière chrétienne part du Christ et aboutit à lui.
"Je crois à la valeur infinie du corps humain et à son éternité. Je crois que Dieu est la Vie et le secret du corps comme Il se révèle en lui. Je crois que Dieu se fait corps autant qu’Il se fait homme. Je crois que le corps ne devient lui-même qu’en déployant la dimension mystique qui le personnifie et qui échappe à toute possession. Je crois que l’amour est un sacrement qu’il faut recevoir à genoux. Dieu est donc bien le Dieu des corps, comme nos corps sont appelés à devenir le corps de Dieu pour donner des larmes à sa douleur et plus encore pour nous rendre sensibles : le sourire du Bon amour". (Maurice Zundel, Vivre Dieu, Presses de la Renaissance, 2007, p. 197).