L’éloge de la vulnérabilité
Nous naissons tous fragiles et vulnérables : conçus dans le sein maternel à l’état de cellule fécondée, nous avons vécu notre développement de manière silencieuse jusqu’à ce que nous voyions le jour. Mais cette première cellule était porteuse d’une promesse d’avenir : ce que nous sommes devenus, jusque dans les moindres détails de notre être physique, était déjà inscrit dans l’information génétique de notre ADN initial, jusqu’à faire de nous, « un de corps et d’âme », une personne unique et singulière, capable d’un agir libre, au-delà de tout déterminisme, en nous orientant vers la gratuité de l’amour et du don de soi. En outre, nous mourons vulnérables, dans la dépendance, et pourtant cette vulnérabilité porte en elle-même la promesse d’une vie meilleure, au-delà de la mort, comme tant de témoignages d’« expériences de mort imminente » (EMI) nous le laissent entrevoir, brisant la désespérance qu’engendre chez tant de nos contemporains la perspective d’un monde clos, fermé à la transcendance, et dont le rêve transhumaniste ne saurait nous délivrer.
Pour révéler l’homme à lui-même et lui manifester la sublimité de sa vocation, Dieu s’est fait homme, il a été conçu dans le sein virginal de Marie, il s’est fait fragile et vulnérable et, dans ce si simple appareil, il était à lui seul une promesse d’avenir pour toute l’humanité : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse, puisque l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt 1, 20-21). Et pour nous sauver, il s’est fait plus vulnérable encore dans sa passion et sa mort sur la croix. Mais sa mort est devenue promesse de vie éternelle et de Résurrection : « Il s’est abaissé … C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom » (Ph 2, 8-9).
Les grands de ce monde, par leur pouvoir ou leur savoir, s’arrogent souvent le droit de dominer leurs semblables, de manière arbitraire, dans une insouciance éthique qui n’a d’égale que la dureté de leur cœur. Au nom des performances de la technique et de la logique implacable du marché, ils prétendent exercer leur domination destructrice sur les petits et les faibles à commencer par les enfants à naître : ils peuvent même décider qu’un enfant ne voie pas le jour ou bien le priver intentionnellement de père. Qui leur rappellera qu’eux aussi sont nés et mourront fragiles et vulnérables ?
En contemplant « le nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2, 7), nous apprenons la vulnérabilité, dont Dieu a fait l’éloge en Jésus, de la crèche à la croix. Mais cette vulnérabilité était traversée par l’Amour, un amour plus fort que la mort qui ne pouvait pas le retenir en son pouvoir, lui qui nous a aimés jusqu’à l’extrême (cf. Jn 13, 1). Et l’homme en a été transfiguré : combien d’exemples d’hommes et de femmes qui donnent leur vie par amour de leurs frères ? Je pense au Serviteur de Dieu Jérôme Lejeune, le découvreur de la Trisomie 21, qui a consacré sa vie pour que les personnes trisomiques aient une vie meilleure ; et ce sont elles, qui ne sont qu’amour, qui rendent notre vie meilleure : j’en suis le témoin émerveillé. Une société est humaine dans la mesure où elle fait une place aux plus petits et aux plus fragiles, où elle en prend soin et où elle défend coûte que coûte leur dignité. Ce sont les plus fragiles qui nous apprennent à aimer ! Comme l’écrit le Pape François, dans sa lettre sur « le signe admirable de la crèche » : « En naissant dans la crèche, Dieu lui-même commence la seule véritable révolution qui donne espoir et dignité aux non désirés, aux marginalisés : la révolution de l'amour, la révolution de la tendresse. De la crèche, Jésus a proclamé, avec une douce puissance, l'appel à partager avec les plus petits ce chemin vers un monde plus humain et plus fraternel, où personne n'est exclu ni marginalisé ».
Le malaise de notre société, condamnée à la logique de l’excellence à la portée des plus forts, la souffrance et la colère qui la traversent, le fossé qui s’accentue entre les grands qui font sentir leur pouvoir et les petits qui sombrent dans la précarité et le désespoir, sonnent comme un signal d’alarme. Aussi, l’Église ne se lasse pas de faire retentir cette bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2, 10-12). En ce Noël 2019, trouvera-t-il un peu de place dans notre salle commune (cf. Lc 2, 7) ?
† Mgr Marc Aillet