La description que l’évangéliste Luc fait du contexte socio-politique et religieux dans lequel le Christ a été manifesté à Israël est éclairante à bien des égards (cf. Lc 3, 1-2)
Il montre comment les chefs politiques et religieux d’Israël sont tellement préoccupés de pactiser avec l’occupant romain, auquel ils ont dû abandonner leur souveraineté et dont ils s’attirent bien des faveurs et des avantages personnels, qu’ils en ont oublié les intérêts du Peuple sur qui pèse lourdement le pouvoir humiliant et cruel de l’Empereur Tibère et de son Procurateur Ponce Pilate. Il y a comme un divorce grandissant entre les chefs du Peuple et les petits qui perdent confiance, d’autant que le Dieu d’Israël, naguère si prolixe à travers la voix des prophètes, semble devenu silencieux, comme sourd à leur plainte. Il y a bien un petit reste de « pauvres de Yahvé » qui demeurent fidèles à scruter les Ecritures et attendent dans l’espérance, contre vents et marées, la réalisation des promesses. Mais la grande majorité subit, parfois avec résignation, quand d’autres veulent en découdre, en rejoignant le parti des zélotes qui a choisi la voie de la révolte armée.
C’est dans ce contexte explosif que la Parole de Dieu est adressée à Jean-Baptiste, non pas dans l’agitation des villes et les prétoires des grands qui prétendent gouverner et changer le monde, mais dans le désert : et les foules ne s’y trompent pas qui se pressent autour de lui pour entendre sa prédication et ses conseils. Elles attendent certes une libération sociale et politique, mais leur quête est aussi religieuse, et loin de les exhorter à la révolte, Jean-Baptiste les invite plutôt à revenir à Dieu et à convertir leur cœur en prenant le chemin de la justice. Il ne s’agit pas pour lui de dresser le peuple contre les collecteurs d’impôts ou les soldats, mais de les appeler tous à la conversion, car le Salut est pour tous (cf. Lc 3, 10-13). Pour ce faire, il est d’abord le témoin de l’irruption de Dieu dans le temps et l’histoire des hommes, de l’avènement du Christ dans la chair, de la proximité d’un Dieu qui entend le cri de ses enfants et peut seul les sauver : « Moi, je vous baptise dans l’eau ; mais il vient celui qui est plus fort que moi […] Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » (Lc 3, 16).
Aujourd’hui encore, et l’actualité de ces dernières semaines en France en est l’illustration, des hommes et des femmes attendent une libération : sans doute se mobilisent-ils spontanément pour faire entendre leur détresse économique et sociale, face à des gouvernants qui semblent déconnectés du vrai de leur vie quotidienne. Mais il est permis de penser aussi que ces revendications révèlent des angoisses existentielles plus profondes d’hommes et de femmes qui ne trouvent plus dans une société de consommation à deux vitesses, où l’argent est roi, de quoi combler leur vide intérieur et donner un sens plénier à leur vie. D’autant que, dans leur recherche d’un « nouvel ordre mondial », à l’instar de l’Empereur Auguste dont saint Luc nous dit qu’il « ordonna de recenser toute la terre » (Lc 2, 1), les grands de ce monde organisent la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes contraintes par la mondialisation et la financiarisation de l’économie à migrer, à la recherche d’un monde meilleur qu’ils ne trouvent pas.
Force est de constater que le monde est en panne, précisément parce que Dieu a disparu de l’horizon des hommes, il en a même été évincé. Les hommes d’aujourd’hui ont plus que jamais besoin de témoins crédibles de la présence de Dieu dans le monde, « pas n’importe quel Dieu, mais le Dieu qui a parlé sur le Mont Sinaï, le Dieu dont on reconnaît le visage dans l’amour poussé jusqu’à l’extrême, en Jésus-Christ crucifié et ressuscité » (Benoît XVI).
C’est cela le message de Noël qui garde toute sa pertinence et son actualité. A l’heure où le monde était épuisé, où le Peuple pouvait se sentir abandonné de Dieu, devenu si lointain et sourd à ses appels, l’Ange annonça aux bergers de Bethléem : « Aujourd’hui … vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » (Lc 2, 11) ! C’est le message de l’Eglise en ce Noël 2018 et il n’est pas éloigné de la dure réalité vécue par beaucoup : en assumant notre condition humaine en toutes choses, à l’exception du péché, en naissant pauvre parmi les pauvres, en prenant sur lui la souffrance et la mort qui nous affligent, Jésus « nous a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu » (Jn 1, 12), il a changé les cœurs afin que nous puissions, avec lui, changer l’histoire et construire, non pas un monde meilleur, mais un monde nouveau. Redonnons à Dieu la première place, ouvrons nos cœurs à sa grâce et agissons pour que règnent autour de nous l’amour, la justice et la paix.
Saint et joyeux Noël à tous !
+ Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron.
- Ecouter le message en français :