Rencontre avec son neveu, Philippe Maynial, pour une interview exclusive qui retrace le portrait d'une héroïne oubliée.
Aleteia : Pouvez-vous nous présenter votre livre en quelques mots ?
Philippe Maynial : Le film Les Innocentes est sorti le 10 février 2016. J’avais contribué à ce film en tant qu’auteur de l’histoire : j’avais raconté le scénario de ce qui allait devenir le magnifique film d’Anne Fontaine. Le livre paraît un an plus tard et remet au centre la personnalité de Madeleine Pauliac. Dans le film, l’héroïne est interprétée par Lou de Laâge. Il évoque seulement le cas des « Innocentes », ces religieuses sur le point d’accoucher que Madeleine Pauliac a aidé dans le cadre de ses activités de médecin et dans le plus grand secret.
Quant à l’ouvrage, il est beaucoup plus ouvert sur la véritable histoire de Madeleine Pauliac qui accomplit 200 missions en Pologne avec l’aide de l’escadron bleu entre avril et décembre 1945.
Dans une première interview donnée à Aleteia sur le film, vous disiez que vous n’étiez pas satisfait des modifications apportées par l’adaptation d’Anne Fontaine. Vous aviez pourtant consenti à les accepter. Faire paraître cet ouvrage était-il pour vous une façon de rétablir la vérité ?
Oui, mais je ne peux pas être mécontent puisqu’elle a dû obéir à une narration propre à celle d’un scénario. Je comprends tout à fait que les codes du cinéma imposent certains changements. Dans le film, le personnage de Mathilde devait être confrontée à une situation en tout point difficile. La densité dramatique est bien plus forte en obéissant à certaines contraintes. Dans le film, elle aura une aventure avec un médecin juif or il y a très peu de chances que cela soit arrivé dans la réalité.
Écrire ce livre, ça vous est apparu comme un devoir de mémoire impérieux ?
Je pense que tout ceci a été progressif. La recherche iconographique et historique m’a demandé énormément de temps. Du temps pour pouvoir recueillir non seulement tout ce qui concernait Madeleine Pauliac mais aussi tout ce qui concernait aussi ces femmes de l’escadron bleu. J’ai découvert ces femmes grâce à leurs lettres, que ma mère m’avait transmises. J’avais également des photos mais elles n’étaient pas légendées. Il a fallu tout reconstituer.
Et ce puzzle de reconstitution vous a pris combien de temps ?
Cinq ans pour le film puis deux ans pour le livre.
Et duquel êtes-vous le plus fier ?
Les deux. Je suis extraordinairement redevable à Anne Fontaine pour la qualité du travail et du film qu’elle a fait. Il a d’ailleurs eu quatre nominations aux Césars 2017 et ce n’est pas par hasard que ce sont de très belles nominations : meilleur film, meilleur réalisatrice, meilleures photos et meilleur scénario.
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Ça a été une découverte pour vous aussi ce livre ?
En effet je ne connaissais pas bien le « background » historique de ce que ce livre m’a amené à raconter. Je me suis familiarisé avec toutes ces dates et j’ai découvert à quel point l’appareil nazi a fonctionné jusque dans les dernières heures. Le livre raconte comment la Pologne est passée de cinq ans d’occupation nazie à 45 ans d’occupation communiste, et comment le rideau de fer va s’abattre sur ce pays. Je n’avais pas une conscience aussi précise de ce qui allait se passer en Pologne. On est dans un compte à rebours extrêmement rapide : il faut absolument sauver ces hommes du désastre ou bien ils vont être emmenés à l’est et disparaître dans les camps.
Il y a deux choses qui m’ont frappé. La première c’est la manière dont les russes vont, avec une constance terrible, vouloir prendre leur revanche sur les allemands : c’est un incendie qui ravage la terre comme dans l’ancien testament, tout est brûlé, détruit, carbonisé. Leurs chefs les ont galvanisés, je pense en particulier à la phrase du maréchal Joukov en 1945 « maudite soit la terre des assassins, nous prendrons notre revanche sur tout ». La seconde, c’est la psychologie du moindre soldat tournée entièrement vers cette revanche. Dès lors qu’ils ont quitté le territoire russe où ils étaient tenus par des commissaires politiques, tout est permis. Le viol des femmes en Allemagne, par exemple, est une des grandes questions encore très peu abordée. Pourtant j’ai pu consulter des rapports où il fait mention de deux millions de femmes allemandes violées par les russes.
En prenant du recul sur votre ouvrage, qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette rencontre posthume avec votre tante ?
Sans aucun doute ce parcours de femmes héroïques. C’est une leçon de vie et d’espoir. Elles ont été jusqu’au bout du sens du devoir qui les animait.
Pensez-y : pourquoi s’engagent-elles en avril 1945 alors qu’elles ont passé déjà quatre ans de guerre, de souffrance, de privation, de rationnement ? Elles sont poussées par la fraternité, la solidarité, par un sens du dévouement difficilement concevable aujourd’hui, ce sont des femmes aux vertus exceptionnelles. Elles ont traversé l’histoire et n’ont pas été reconnues par elle. Ma tante aurait disparu, on n’en aurait pas entendu parler si le film n’était pas sorti. Elle serait restée dans l’anonymat. Aujourd’hui elle en sort et ce n’est que justice.
Ces femmes ont été admirables et quand on parle aujourd’hui du féminisme qui veut s’affranchir de beaucoup de choses, je trouve que c’est un exemple magnifique : j’ai retrouvé la liste des médecins qui étaient inscrits en 1939 quand elle avait 27 ans et qu’elle était toute jeune médecin. Je n’ai vu que 350 femmes inscrites. Il fallait déjà avoir un certain caractère pour faire médecine en étant une femme, mais aussi un sens de l’engagement hors normes pour faire de la résistance et pour accepter cette mission à l’Est.
On peut s’interroger aujourd’hui : pourquoi est-ce que c’est elle que le général de Gaulle a envoyé ? J’ai une réponse un peu technique : on pensait qu’une femme circulerait beaucoup plus facilement à l’est. Le 15 juin l’accord réciproque d’échange de prisonniers peut avoir lieu, la situation commence donc à être très compliquée puisque les russes vont refermer le rideau de fer dans des délais très brefs. C’est le 15 novembre que la mission de Pauliac se termine et c’est aussi la date de la fin du ministère des prisonniers et des déportés. Après cela, un nouvel état d’esprit doit naître, il faut reconstruire la France, et elle y a contribué.
Propos recueillis par Angélique Provost.
Madeleine Pauliac : l’insoumise, par Philippe Maynial, Éditions XO, février 2017, 19,90 euros.