Moine à l’abbaye de Timadeuc (Bretagne), frère Irénée, de son vrai nom Claude Rigolot, rayonne. Aujourd’hui âgé de 84 ans, il revient pour Aleteia sur sa vie au cours de laquelle il aura revêtu plusieurs uniformes : celui du saint-Cyrien, fièrement coiffé de son casoar, de l’officier de Légion, puis, plus tardivement, celui de moine cistercien.
Il est des chemins faciles à arpenter, directs et sans détour, et d’autres, plus sinueux, où il est parfois nécessaire de changer d’embranchement pour arriver à destination. Certains s’empruntent d’un pas lent et léger, d’autres au pas de course et assuré. La vie de frère Irénée se range dans cette deuxième catégorie. Si ce moine cistercien sert Dieu à l’abbaye de Timadeuc, à Bréhan (Morbihan), depuis plus de cinquante ans, l’habit de moine n’est pas le seul uniforme qu’a porté frère Irénée, de son vrai nom Claude Rigolot, au cours de sa vie. « J’ai ressenti très fort l’appel de Jésus dans mon cœur de gosse à l’âge de 12 ans », confie-t-il. « Le prêtre m’avait appelé pour jouer un morceau de violon à une femme âgée dans un hôpital. À la fin, elle m’a serré dans ses bras et ça a été comme un déclic, j’ai senti le Seigneur m’appeler. Mais il aurait fallu que je fasse le séminaire hors ça aurait été compliqué : mon père n’allait pas à l’église et je craignais sa réaction ».
« Entrer à Saint-Cyr était d’une certaine manière mon don de moi-même à Dieu par mon don de ma vie à la France. »
C’est finalement une autre voie que choisit de suivre Claude Rigolot qui découvre au collège l’existence de Saint-Cyr, l’école de formation des officiers de l’armée de terre. « J’avais aussi une grande soif de gloire humaine, d’engagement, de réussir ma vie… mais Dieu ne s’est jamais éloigné de moi. Entrer à Saint-Cyr était d’une certaine manière mon don de moi-même à Dieu par mon don de ma vie à la France », résume-t-il. Sorti neuvième de sa promotion, il choisit sans hésitation la Légion étrangère. En 1961, lieutenant affecté au 1er Régiment étranger parachutiste (REP), il part en Algérie sous les ordres du colonel Guiraud et du commandant Hélie Denoix de Saint Marc. Il prend alors part au putsch d’Alger et la sanction tombe : comme tous les officiers ayant participé au putsch, il est suspendu et condamné à 45 jours d’arrêt qu’il passe au fort de Nogent, dans le Val-de-Marne. « Par la suite, j’ai vu cette sanction comme un pré noviciat ! », raconte-t-il dans un sourire. « Un avertissement du Seigneur qui me signifiait qu’il me réservait une autre gloire. La gloire humaine étant à terre, j’ai commencé à percevoir cette autre gloire celle de l’amour vrai, celle de la charité en acte… qui n’est en rien inférieure au triomphe de la bravoure ! »
Il repart ensuite une nouvelle fois en Algérie dans un régiment de chasseurs à pied. « J’étais dans l’action, absolument fraternel avec mes hommes, au service de mes hommes », affirme-t-il. « L’officier de Légion est d’ailleurs au service de ses légionnaires ». Son régiment est alors composé de deux sections d’harkis et deux autres sections d’appelés, soit un total de 150 hommes. Il se souvient de ce jour où des « fellaghas », des rebelles, les ont brutalement attaqués dans une zone rocheuse qu’ils étaient en train de sécuriser. Claude Rigolot perd deux harkis et un caporal. Un de ses chefs de section est très grièvement blessé, avec une fracture ouverte du fémur. « J’ai demandé à être appuyé par un hélicoptère armé afin de me porter à son secours. J’y suis allé et je suis remonté avec lui sur mes épaules. Un hélicoptère est ensuite venu le chercher pour une évacuation sanitaire vers l’hôpital de Batna, où il a eu la vie sauve », se souvient-il.
Cet officier à qui il a sauvé la vie viendra lui rendre visite au monastère de Timadeuc vingt ans après. « La Providence est bonne », assure frère Irénée. « Il est venu me retrouver au monastère pour me remercier. C’était un moment extraordinaire… Il avait gardé sa jambe mais perdu sa foi et m’a raconté qu’à l’hôpital, il l’a retrouvé ». Lui demandant ce qu’il pouvait faire pour le remercier, frère Irénée, alors maître des novices, lui dit qu’un dictionnaire français-latin pourrait être utile. « Il m’en a envoyé quinze ! », se souvient-il plein de joie. « Et on les utilise encore ! ».
Ce métier des armes, ce rude métier, Claude Rigolot l’a vécu avec la foi d’un homme, la foi d’un soldat. « J’étais en Algérie pour être un soldat au service de la paix, c’est cela qui m’a animé », raconte-t-il. Atteint de tuberculose, il est rapatrié en urgence en France. « J’ai été magnifiquement soigné par l’armée », reconnait ce grand sportif qui profite de sa dernière affectation au 41e Régiment d’infanterie pour monter une équipe de pentathlon militaire qui ira jusqu’au championnat de France. C’est finalement dans un dialogue « très fraternel » avec un aumônier militaire qu’il déclare : « Je veux donner ma vie à Dieu au service de l’Église mais dans la prière ». Il lui demande dans la foulée s’il ne connaît pas un monastère et l’aumônier lui répond alors : « Timadeuc !»
C’est donc à pied que Claude Rigolot rejoint l’abbaye de Timadeuc où il entre en septembre 1966. « Je suis aujourd’hui âgé de 84 ans, en bout de parcours on pourrait dire », s’amuse le moine. « Mais plus le temps passe, plus je suis heureux ! ».
« Au monastère j’ai découvert qu’Il était miséricorde, amour et vérité. Au cœur droit il est toujours à l’écoute. »
De sa carrière militaire, il n’a pas de regret. Si aujourd’hui il est investi dans la formation des jeunes moines et moniales et consacre une grande part de son temps à l’accompagnement spirituel des retraitants et des hôtes de passage, il relit clairement sa vie de militaire et sa vie de moine. « J’ai mis en application dans l’armée l’expression “Être artisan de paix”. C’est vrai je suis responsable de la mort d’hommes afin de sauver ma vie et celle des hommes que je commandais. Mais tout cela est porté en Dieu. Si eux n’étaient pas sauvés, je ne pourrai pas l’être », confie frère Irénée. « Au monastère j’ai découvert qu’Il était miséricorde, amour et vérité. Au cœur droit il est toujours à l’écoute. Ora et labora (« prie et travail », ndlr), c’est cela la vie monastique. Ma vie d’officier n’était guère autre chose : j’avais dans ma musette Les confessions de saint Augustin ! La prière et le travail ont toujours trouvé leur place dans ma vie dans un fondu enchaîné permanent », affirme-t-il encore. « On ne passe jamais de l’un à l’autre, on vit notre travail sous le regard de Dieu ».