Chris Arnade, trader américain devenu photographe des exclus du Bronx est tombé dans la joie de l’Évangile après vingt ans de "froideur émotive "
Après un doctorat en physique à la John Hopkins University, Chris Arnade a travaillé pendant vingt ans comme trader pour une banque d’investissement à New York. En 2012, sentant son existence vidée de toute substance, il décide de quitter son métier pour se consacrer à la photographie. Il aspire à retrouver les valeurs qui étaient les siennes mais qu’il avait oubliées, comme anesthésiées. Sans presque s’en rendre compte, du cœur du capitalisme de Wall Street, il entre peu à peu dans un monde parallèle — celui des sans-abri, des drogués, des prostituées du Bronx — parmi lesquels il trouvera la soif de Dieu et le respect pour la dignité de la vie de tout un chacun.
En quête de Dieu
Prendre en photo ces personnes, être à leur contact, partager leurs difficultés jour après jour et leurs efforts pour survivre, ont transformé Chris, athée, en une personne en quête de Dieu. Une chose en particulier l’intriguait, beaucoup portaient autour du cou « le plus pauvre des pauvres » : Jésus. Et il les représente sur tant de photos avec la croix de son sacrifice… qui est aussi la leur (nudité, pauvreté, abandon). Ceux-ci ont volontiers un chapelet à portée de la main pour affronter les moments les plus sombres. Et dans chaque abri des consommateurs de crack, il n’est par rare de trouver une bible ouverte.
Dans The Guardian, Chris explique dans un des articles accompagnant ses photos : « Nous sommes tous pécheurs et en marche, eux le vivent de manière viscérale, les personnes à succès non. Leur amour-propre, la haute considération qu’ils ont d’eux-mêmes, leur froideur émotive, a anesthésié la perception de leur faillibilité ». Toutes ces photos, Chris les fait circuler sur les réseaux sociaux et dans divers médias américains.
La joie de l’Évangile
On peut dire que Chris Arnade est tombé dans la « joie de l’Évangile » qui remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Il s’est « libéré de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement » dit-il lui même. Et c’est tout le sens de la nouvelle étape évangélisatrice à laquelle invite le pape François dans sa première exhortation apostolique Evangelli gaudium sur l’annonce de l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui. Un texte qui n’a d’ailleurs pas échappé à notre « converti » et qu’il a commenté aussitôt après sa sortie, fin 2013, invitant tout un chacun à le lire et à s’en inspirer.
Lui, le trader de Wall Street devenu photographe reporter dans le Bronx peut témoigner tous les jours de la force inspiratrice de ce texte qui met en évidence les disparités sociales et l’exclusion à travers le monde. Lui, le riche trader sait que la culture du bien-être est un puissant « anesthésiant », qu’à travers cette exhortation apostolique, le Pape ne cherche pas à jouer les économistes mais veut alerter la société sur ce qui risque de la démolir, de la dissoudre, de la déshumaniser.
Hommage au Pape-prophète
Un Pape « whistleblower for the poor » — littéralement en français « lanceur d’alertes pour les pauvres » — tel est le titre de l’article, paru dans The Guardian, après la proclamation du Pape « personnalité de l’année 2013 » par Time Magazine. Chris remercie le média américain de l’avoir compris et cite la phrase qui fut justement critiquée et qu’il trouve, lui, fort appropriée, contre ceux qui « défendent encore les théories de la “rechute favorable”, laissant entendre que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde ».
Cette opinion dénoncée par le Saint-Père — et Chris la fait sienne — « n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. En même temps, les exclus continuent à attendre ». C’est exactement ça, poursuit Chris, à Wall Street « il est impossible de faire de l’argent si on commence à se demander comment on le fait, qui on blesse, et qui reste derrière ». Tout cela pour une simple exigence de rentabilité financière ou d’un marché sans contrôle, au mépris de la personne humaine !