Le retable lui-même est structuré horizontalement en trois niveaux et verticalement composé de trois corps. Ce dispositif met en valeur le tableau central au cadre ouvragé représentant le Christ donnant les clés à St Pierre. Quant au tabernacle, il présente verticalement trois registres jusqu’au dôme portant un crucifix. Horizontalement, il est composé au centre de l’armoire eucharistique. Encadré par deux anges eux-mêmes suivis de personnages en bas-reliefs et des statuettes de Marc et Matthieu, il se prolonge par de grandes volutes végétales. Plus qu’un simple élément de décor en somme, par ses dimensions, par sa place privilégiée, par sa richesse, nous percevons d’emblée que l’ensemble tabernacle/retable joue un rôle majeur dans l’organisation globale de l’église.

Pour mieux comprendre ce rôle, il est éclairant de le situer dans l’histoire, en relation avec le projet pastoral des Pères du Concile de Trente (1545- 1563). Par l’unification de la liturgie et la réorganisation de l’espace, ils ont voulu rendre perceptible et glorifier l’élément essentiel de la liturgie catholique, la messe au cours de laquelle le pain et le vin deviennent corps et sang du Christ. On incita à déco­rer avec faste les absides, en exi­geant que l’autel soit systématiquement trans­féré le long du mur du fond. Le regard du fidèle est dès lors conduit selon un double mouvement horizontal, vers le milieu (axe central) et vers le fond (le chœur). Comme par ailleurs, le retable introduit un élément de verticalité, il se trouve au croisement de l’horizontalité et de la verticalité. Au centre de ce croisement, « au plus bel endroit de l’autel » se trouve le tabernacle désormais à demeure sur l’autel. La perspective est clairement une perspective théologique. Le concile de Trente fit de l’ensemble retable-tabernacle un message visuel accessible à tous.

C’est à une lecture théologique et symbolique que fut donc consacrée la dernière partie de la présentation. Un retable baroque est un système d’images qui présente des personnages, des scènes, des éléments décoratifs et symboliques. Le tout organisé en un système signifiant qui met en relation les éléments du retable entre eux et avec les autres parties de l’église. Il joue ainsi une triple fonction. Celle d’instruction au service des dogmes essentiels de l’Eglise catholique- Trinité, Incarnation, Résurrection notamment. Celle de  persuasion, par l’usage d’un langage artistique et symbolique. Si l’on peut dire que le retable est un théâtre, il faut ajouter que le théâtre a des origines religieuses, que par le jeu de l’identification, le théâtre peut « purifier les passions », et que les rideaux qui se lèvent ont à voir avec le dévoilement. La lumière qui tombe du retable crée une sorte d’espace total qui enveloppe le fidèle et le transforme. Car le retable est aussi façade et porte. Le vocabulaire architectural a ici une dimension théologique. Outre l’ancrage biblique et évangélique -« Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé » dit Jésus en Jn 10, 9a, la liturgie ramène sans cesse aux médiations. Le salut n’est accessible qu’au prix d’un passage que l’autel signifie : le Dieu des chrétiens est un Dieu qui vient et l’humanité est déjà sauvée. Ce qui nous amène à percevoir une autre harmonique du retable baroque : il est seuil- c’est-à-dire passage, franchissement, mise en présence d’une autre réalité. Il s’ouvre sur le ciel.

C’est parce qu’il appelle à un tel franchissement que l’autel-retable enfin, ne peut être que célébration, jubilation. Célébration en Eglise, avec la multitude des anges et des saints, dans la jubilation qu’exprime si bien l’art baroque. La « Splendeur persuasive » dont parle Charles Borromée ne laisse pas de place au doute. Les ors sont de grand prix, à tous les sens du terme. Ce que voient les yeux est déjà au-delà de la perception physique. L’histoire humaine malgré ses tribulations est déjà transformée, elle a un sens et un avenir. La révélation portée par les retables baroques est le désir de Dieu rencontrant celui du cœur de tous les hommes, sans limites et sans frontières.

CONCLUSION

 Par leur richesse culturelle, artistique, patrimoniale, les retables méritent le soutien de tous. La Nuit des églises se prête particulièrement à la manifestation de ce soutien qui rassemble, ancre dans l’histoire, ouvre à l’art, à la spiritualité, à l’avenir.

Pour que ce soutien dure au-delà d’une nuit, laissons s’exprimer

• une interrogation :

Comment aujourd’hui, pour des visiteurs sans culture chrétienne, rendre intelligible le système complexe d’images que constitue un retable ?

• un double souhait :

*L’un qui s’adresse davantage au maire : que les portes de l’église soient ouvertes.

Les risques de vol existent et doivent être pris au sérieux. Mais que signifierait un objet patrimonial, c’est-à-dire un objet qui appartient à tous, qui serait caché aux yeux de tous ? Surtout un objet qui a été conçu pour être vu et qui vient d’être restauré? Soyons inventifs et responsables pour trouver des solutions.

*L’autre qui s’adresse davantage aux paroissiens : qu’à l’image du retable, l’Eglise soit seuil. Que dans le langage, dans les modes d’expression d’aujourd’hui, elle soit porte ouverte sur le divin afin que ce Dieu venu habiter parmi nous aide chacun à avancer, nous permette de forcer toutes les clôtures rencontrés dans notre vie, de lutter contre la désespérance et de ressentir ce souffle de résurrection qui nous fait sortir, non pas simplement parce que la messe ou la conférence est terminée, mais parce que nous sommes envoyés dans le monde pour témoigner de cette Présence parmi nous.

Catherine Putz