C’était l’une des dernières fêtes de village du canton. De ces fêtes sans prétention et sans tapage publicitaire qui réunissent presque dans l’intimité, à l’abri des importuns, les habitants de ces fermes éparpillées entre Béarn et Soule, dans le seul but de se rappeler que la vie en communauté organisée marque le passage de la horde sauvage à la société humaine.
La messe achevée, une douzaine d’adolescents entourent Monsieur le Maire, forment une sorte de haie d’honneur autour du monument aux morts et après le dépôt de la gerbe rituelle prononcent, chacun à leur tour, les noms inscrits sur le marbre. « Mort pour la France ! » - (et peut-être à 20 ans à peine, pour que nous puissions aujourd’hui nous réjouir dans la paix…) Minute de silence, Marseillaise, et les jeunes tout empreints du sérieux requis par cette liturgie républicaine, regagnent l’assemblée.
Et c’est alors que je me suis surpris à penser à tous ces enfants de France qui ne connaissent de la République qu’une scolarité chaotique et sans avenir, une défiance instinctive vis-à-vis de toute autorité quand ce n’est pas un affrontement recherché avec les forces de sécurité suivi de quelques passages devant la justice qui ne sait quoi leur proposer. Adeptes inconscients d’une ignorance généralisée de l’histoire et de la finalité des grandes institutions du pays et absents résolus de tous les rendez-vous citoyens, allez donc leur parler des valeurs de la République ou de la démocratie !
Les jeunes adolescents d’Angous qui, espérons-le, renouvèleront encore ce geste, se souviendront un jour de leur timide « appel aux morts » et de leur participation à l’histoire de leur village et de leur pays. Accepteront-ils de prendre la relève de leurs parents qu’ils ont vu se dévouer durant la journée au service de la communauté villageoise ? Se rappelleront-ils que le célébrant, après avoir commenté le fameux « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », leur a dit : « L’avenir de la société sera un jour entre vos mains. Ne faites jamais de César un Dieu ; ne faites jamais de votre Dieu un César. » ?
Abbé Jean Casanave