Il y a 55 ans, les prêtres enlevaient la soutane au profit du col romain. Aujourd'hui, de plus en plus de jeunes prêtres, non affiliés à des groupes traditionalistes, n'hésitent plus à la porter.
À l'occasion de son ordination récente, un prêtre a reçu une lettre d'un de ses aînés lui prodiguant de précieux conseils sur ce vêtement qui, à bien des égards, est à l'image de celui qui la porte.
Voici le contenu de la lettre :
« Cette soutane, en ce jour si spécial, doit te paraître encore plus belle qu’une robe de mariée. Tu as raison de te sentir inondé de joie à la simple idée de la porter : après tout, tu as attendu ce moment depuis tes premiers pas au séminaire.
Mais je ne peux que te souhaiter d’être tout aussi heureux lorsque viendra l’heure d’assumer pleinement toute la signification que revêtent les couleurs de ce simple vêtement, y compris lorsque sonnera l’heure de ta mort et que ce modeste habit deviendra ton linceul. Aujourd’hui, il t’apparaît comme une robe de mariée et suscite l’enthousiasme de tes amis, de ta famille et de toi-même. Mais puisses-tu ressentir le même enthousiasme lorsqu’il sera devenu ton compagnon de solitude, la cage dans laquelle Dieu fusionnera avec toi et te purifiera, l’inconfortable ermitage de tes vieux jours.
Rassure-toi : cette robe de mariée saura aussi être ton armure, lorsque les circonstances l’imposeront, pourvu que tu te souviennes alors de t’en servir de cette manière, comme d’une protection. En effet, porter une soutane devrait à soi seul être une forme de prière. Mais il ne faut pas croire que, sitôt le vêtement boutonné, tel soit immédiatement le cas. Cela demande un effort constant.
Les poches. Elles sont amples et profondes : aussi, elles doivent te servir à ranger tout ce que tu partageras avec les autres. Aie toujours quelque chose à donner à ceux qui sont dans la nécessité et aux enfants. Rappelle-toi que certains apprécieront toujours un peu de l’argent dont il manque si cruellement. Tous auront besoin de ton sourire et d’un mot de consolation – au moins tout autant que de ta voix chantant les hymnes pendant la messe. Tout cela tient à une raison très simple : les gens ont avant tout besoin de savoir qu’ils sont aimés et, plus encore, de sentir que cet amour est bien réel.
Ta soutane, si tu regardes dans sa doublure, comporte aussi une poche intérieure, sur la poitrine. Contrairement à ce que semblent croire les experts autoproclamés de la mode cléricale, elle n’a pas vocation à servir d’écrin à un stylo de grande valeur. Ranges-y plutôt précieusement les lettres auquel tu ne sais pas encore comment répondre, des notes portant le nom de ceux pour qui tu as promis de prier, les factures que tu t’es engagé à payer pour de plus miséreux que toi, les adresses des personnes à qui tu réserves une visite prochaine, conscient qu’elles ne viendront pas d’elles-mêmes te trouver, les photographies des chats, des chiens, des petits-enfants et des êtres aimés de tes paroissiens, ainsi que deux ou trois dessins que des enfants t’auront offerts. Garde cette poche bien remplie à tout moment.
Que ta soutane soit également un roc sur lequel ton égo se brisera sitôt que tu adopteras des postures orgueilleuses, que de vaines ambitions te séduiront ou que la fierté t’envahira sans prévenir et sans que tu puisses y résister. Que cette soutane soit un roc sur lequel tu puisses prendre appui lorsque tu sentiras le courant de la vie te porter à la dérive. Ne t’inquiète pas – cette soutane sera toujours ton plus fidèle soutien. N’aie jamais peur de l’enfiler à la hâte si tu dois porter secours à ton prochain, même si tu dois pour cela paraître ridicule dans la rue et provoquer les sourires amusés de ceux qui te verront ainsi.
Les manches se retroussent bien mieux que celles d’une simple chemise. Elles te rappelleront que la soutane n’est pas tant un uniforme qu’une tenue de travail. Néanmoins, ne retrousse ces manches que pour accomplir un travail au service des autres : ne poursuis jamais tes propres plans.
J’espère aussi sincèrement que ta soutane portera des traces blanches. Celles dans ton dos seraient le témoignage de la sueur du travail, celles sur ton torse la marque des larmes que tu auras versé et que d’autres auront fait couler en te confiant, le visage enfoui sur ton épaule, leurs petits soucis du quotidien comme les grandes peines de leur existence. Certains tracas seront vains, d’autres blessures seront de véritables drames. Je te souhaite de voir ces traces blanches apparaître sur le tissu de ta soutane plus vite que les premiers cheveux blancs sur ton crâne.
Ne crains pas non plus de froisser ou de salir ta soutane lorsque tu porteras secours aux nécessiteux ou aux blessés. N’hésite pas à en déchirer quelques pans pour en faire des bandages ou pour en vêtir les blessures de l’âme. Souviens-toi toujours que, dans certains cas extrêmes, elle pourra servir à d’autres de manteau pour se réchauffer ou de tente pour passer la nuit.
Puisse le tissu de ta soutane s’user bientôt et porter les traces de l’usure aux genoux et aux épaules. Ces marques seront le signe de tes nuits de prières passées dans l’ombre à porter la croix des autres. Puisse également le tissu s’user de t’être souvent assis pour tendre l’oreille et d’avoir joué des coudes pour te frayer un chemin dans la foule. Tu devras aimer ta soutane et non la personne qui la porte. Et surtout, avant toute autre chose, aime l’Église qui te l’a donnée. Plus encore, aime le Christe, aime-le infiniment, car c’est lui qui t’a offert, toi, à l’Église. Cela suffit déjà à me rendre infiniment reconnaissant à son égard.
PS : Tu remarqueras bien vite que presque tous les passagers dans le bus ou dans le métro sont absolument convaincus d’avoir davantage droit à garder leur place assise qu’un prêtre en soutane. Pour être tout à fait honnête, peu importe de savoir s’ils ont raison ou pas – il s’agit d’une question immatérielle et secondaire. Ce qui compte avant tout, c’est que lorsque certains te haïront, ils ne haïssent pas Dieu à travers toi. Le nombre de personnes qui te regarderont, parfois de travers, ne cessera de croître : ta soutane te donnera d’ailleurs une visibilité toute particulière. Mais elle pourra aussi en intimider d’autres, et le nombre de personne qui trouveront le courage de venir vers toi et de te parler ne cessera de diminuer.
Peu nombreux seront ceux qui oseront te critiquer. Cela ne signifiera aucunement qu’il n’y a pas de raison de te critiquer. Ta soutane, souviens-t-en toujours, n’est pas l’emballage d’un produit fini. Le Seigneur t’a vêtu de ce tissu dans sa plus grande miséricorde pour dissimuler tes imperfections et tes faiblesses. »